Diginove Consulting a réalisé cet interview sur l’Open Data auprès de Simon Chignard. Il visait à présenter ce dont il s’agit, à faire le point sur sa mise en œuvre en France et à l’étranger et à avoir de la visibilité sur les prochaines étapes, notamment en matière d’innovation.
Simon Chignard, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis l’auteur d’un ouvrage intitulé « Open Data, comprendre l’ouverture des données publiques ». J’interviens comme consultant et formateur indépendant sur les thématiques de la valorisation des données (dont l’Open Data), l’infomobilité et le marketing mobile.
A titre bénévole, je suis également le Vice-Président de la Cantine numérique rennaise. Cela m’a donné l’occasion dès 2010 d’accompagner l’ouverture des données publiques de Rennes Métropole et son délégataire Keolis Rennes, pionniers sur le sujet en France.
Qu’appelle-t-on Open Data ?
Ce terme désigne à la fois les données ouvertes et le mouvement d’ouverture. On qualifie une donnée d’ouverte si elle remplit un certain nombre de critères techniques, économiques et juridiques. Ces critères vont dans le sens de la plus grande facilité de réutilisation des données publiques.
Toutes les données sont-elles concernées ? Qui décide qu’une donnée est accessible en Open Data ou non ?
La loi ne définit pas ce qu’est une donnée ouverte. Par contre, elle précise ce qu’est une donnée publique. Les trois critères mentionnés sont issus du consensus et de la pratique de l’Open Data. Cependant, aucun pays européen n’a encore donné une traduction juridique au concept de donnée ouverte. L’Italie est l’exception car elle prépare un projet de loi dans ce sens.
En France, la loi CADA (du nom de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs) de 1978 précise le périmètre de la donnée publique. Ainsi, sont concernées toutes les données produites, collectées ou émises dans le cadre d’une mission de service public. Peu importe d’ailleurs que la mission soit remplie par un acteur public (l’État, une collectivité…) ou une entreprise privée délégataire de service public.
Ensuite, la même loi CADA associe à ces données deux types de droits. Il s’agit du droit d’accès et du droit de réutilisation. Certains acteurs ont un statut juridique particulier (la SNCF, la RATP). Ce statut limite les conditions d’exercice du droit de réutilisation. Enfin, l’Europe a aussi publié un ensemble de directives sur le sujet.
Concernant la question « Qui décide de l’ouverture d’une donnée ? », en l’état actuel de la loi, c’est une démarche volontaire de la part des détenteurs de données. Même s’il y a souvent une pression pour ouvrir tel ou tel type de données, il est important de souligner le caractère volontariste de l’Open Data. Mais tout cela pourrait changer prochainement…
A-t-on noté des entraves ou des résistances à l’accès aux informations publiques ?
L’ouverture des données publiques suscite plusieurs inquiétudes. Certaines sont parfois légitimes. Par contre, d’autres procèdent plutôt d’une « difficulté culturelle ». Les acteurs de l’information publique, dont le métier est de produire de la donnée – je pense, par exemple, à l’IGN ou à Météo France – peuvent s’inquiéter d’une fragilisation des modèles économiques de la donnée. En effet, la plupart d’entre eux sont aujourd’hui contraints de s’autofinancer. De ce fait, ils ont peur que l’Open Data ne signifie une baisse de leurs revenus liés à la revente des données.
Plus généralement, l’inquiétude est liée au mésusage. Leur première question est : « Mais qu’allez-vous faire de mes données ? ». Or l’Open Data se positionne dans une logique d’innovation ouverte. Dans un tel cas, on privilégie la modération a posteriori au contrôle a priori.
Quelles sont en France les villes en pointe sur l’Open Data ? A quoi les données ont-elles servi ?
Rennes Métropole et son délégataire Keolis Rennes ont lancé le mouvement en 2010. Depuis, de nombreuses collectivités les ont rejoints :
- Des villes et des agglomérations (Paris, Nantes, Toulouse, Montpellier…)
- Des départements (Loire Atlantique, Saône et Loire, Gironde…)
- Et des régions (Provence Alpes Côtes d’Azur, Pays de la Loire…).
En matière de réutilisations, on a surtout vu la création d’applications mobiles, en particulier pour les transports. Il faut sans doute y voir un effet des concours qui ont beaucoup stimulé ce type de réutilisations au détriment d’autres usages (les infovisualisations, par exemple).
Et à l’étranger ? La France est-elle en retard ?
Les États-Unis et le Royaume-Uni ont toujours une politique active sur le sujet. La France n’est pas particulièrement en retard en Europe. Elle a la chance de combiner un Open Data des territoires et un Open Data d’État avec la Mission Etalab. On compte aussi un certain nombre d’initiatives du côté des acteurs privés.
L’abrogation de la Mission Etalab par le décret 2012-1198 du30/12/2012 met-elle en péril l’Open Data en France ?
Désormais, la Mission Etalab est rattachée à une mission plus large liée à la modernisation de l’État. J’ai tendance à penser que c’est plutôt une chance pour l’Open Data en France. La question que pose l’Open Data est bien celle du rôle des acteurs publics et de l’État…
En temps de crise, est-il raisonnable que les données publiques soient gratuites alors qu’elles pourraient constituer une ressource financière ?
Voir le dossier sur la gratuité des données.
Que penser de l’annonce faite récemment par le GART (Groupement des Autorités Responsables de Transport) ?
Voir le billet sur le blog de Simon Chignard.
Au final, existe-t-il une stratégie de l’Open Data en France ? Si oui, quelle est-elle ?
Il y avait jusqu’à présent plusieurs stratégies pour l’Open Data en France ! Tout d’abord, celle des collectivités, politiquement plutôt à gauche (mais pas uniquement). Après une première phase de foisonnement, elles tentent de se coordonner, notamment via le collectif Open Data France. Ensuite, il y a celle de l’État avec la Mission Etalab, jusqu’à récemment dirigée par quelqu’un réputé proche de l’ancien Premier Ministre François Fillon.
On avait donc clairement une fracture entre les deux approches de l’Open Data, surtout pendant la période électorale que nous avons connue ! Nous verrons prochainement l’annonce du nouveau plan gouvernemental sur l’Open Data (prévu en décembre prochain). Cependant, il y a clairement un enjeu à mieux faire travailler ensemble tous les acteurs de l’Open Data, un peu à l’instar de ce que propose le portail américain data.gov.