La billettique dans les transports publics a énormément évolué au cours des 30 dernières années. On s’oriente vers une digitalisation et une dématérialisation toujours plus poussée. Ainsi, on a successivement utilisé le billet papier, le ticket magnétique, le passe sans contact, le téléphone mobile et la carte bancaire. Désormais, la mobilité va de pair avec nouvelles technologies et sécurité de l’information. L’émergence des technologies biométriques relance le sujet. En effet, elle ouvre une voie totalement nouvelle qui fait appel à la reconnaissance faciale.
Celle-ci permet d’identifier un individu en le filmant avec une caméra équipée d’un dispositif d’Intelligence Artificielle. Ainsi, on analyse les traits d’un visage en fonction de ses caractéristiques physiques (écartement des yeux, espacement des oreilles, position de la bouche, arêtes du nez, commissures des lèvres…). Ensuite, on lui associe une identité (authentification).
La Chine, leader mondial de la reconnaissance faciale
La Chine a pris une avance tout à fait déterminante dans ce domaine. De fait, elle utilise cette technologie massivement grâce au déploiement de 300 millions de caméras intelligentes sur son territoire depuis fin 2020. Elles analysent et surveillent le comportement des personnes dans les lieux publics ou repèrent des criminels recherchés. Également, elles aident à fluidifier l’embarquement des passagers dans les aéroports et le checking dans les hôtels.
Depuis peu, le passage devant une de ces caméras est obligatoire pour se voir attribuer une ligne de téléphone mobile. Ainsi, les autorités peuvent associer des communications à une identité authentifiée. Une faculté chinoise a initié, quant à elle, une utilisation toute particulière. La caméra placée dans les amphis permet d’identifier les étudiants qui assistent aux cours. Qui plus est, parmi les présents, elle repère ceux qui ne sont pas attentifs. Par déduction, elle détermine ceux qui sont absents.
On imagine aisément les usages qu’un gouvernement autoritaire peut faire de cette technologie. On pense aussi aux développements encore plus avancés qu’il peut engager. Par exemple, lecture sur les lèvres des échanges interpersonnels avec retranscription textuelle automatique. Ou encore, identification des conducteurs garés en infraction pour dresser automatiquement un PV.
Un marché en pleine expansion
HUAWEI, le géant industriel chinois, exporte aujourd’hui sa technologie un peu partout dans le monde. A ce jour, il a équipé plus de 200 villes. Le Japon, les États-Unis, Israël, la Russie et la France, même s’ils disposent d’une offre technologique similaire, ne sont clairement pas les leaders du marché de la reconnaissance faciale. Celui-ci est très dynamique et bénéficie d’une progression annuelle de l’ordre de 20 %.
La Fondation Carnegie estime, quant à elle, que 75 pays dans le monde utilisent déjà la reconnaissance faciale à des fins de surveillance. Par ailleurs, la technologie chinoise équipe déjà totalement ou en partie 63 d’entre eux. Cela donne à la Chine la possibilité de décrocher des contrats très rentables. Par ce moyen elle a également moyen d’accéder à des bases de données conséquentes sur les visages. Par là même, elle peut améliorer l’apprentissage automatique de sa reconnaissance faciale par le Deep Learning et rendre ainsi ses algorithmes encore plus performants.
Pour conserver son avance au regard de ce qui constitue pour elle une arme politique et industrielle, la Chine continue sa recherche et développement en la matière. Elle travaille notamment sur la possibilité d’authentifier les individus en analysant leur seule démarche afin de les identifier même avec le visage caché.
Analyse de quelques cas d’usage en France
Face à cette approche Big Brother des temps modernes, la France a adopté une démarche plus
respectueuse des libertés individuelles, encadrée à la fois par le RGPD et surveillée par la CNIL.
L’identification via une application grâce à la reconnaissance faciale pourrait ainsi permettre
d’accéder directement à certains sites administratifs. Également, elle pourrait faciliter l’accès à plus de 500 services publics (portail des impôts, CAF, Caisse des Dépôts…). Pour cela, il suffirait d’utiliser la caméra de son smartphone au lieu de devoir saisir son identifiant et son mot de passe. Il s’agit du programme ALICEM (Authentification en Ligne Certifiée sur Mobile).
Nice, première ville française à expérimenter la reconnaissance faciale
Fin 2018, Nice a été la première ville française à expérimenter la reconnaissance faciale, avec l’accord de la CNIL et sous réserve du consentement des personnes concernées. Il s’agissait d’un contrôle d’accès à 2 des classes du lycée des Eucalyptus grâce à l’installation de portiques à reconnaissance faciale. L’objectif consistait à faciliter et à réduire la durée des contrôles d’entrée/sortie des élèves habituellement réalisés par les agents assurant l’accueil. Également, ce dispositif avait pour objectif de lutter contre l’usurpation d’identité et contre l’accès à l’établissement par des personnes non autorisées. Le même dispositif a été testé à Marseille par la suite. A l’époque, l’expérimentation a cependant soulevé des objections de la part de la FCE (parents d’élèves) et de certains syndicats d’enseignants.
Eurostar à la Gare du Nord (Paris)
La reconnaissance faciale s’utilise aussi à la Gare du Nord à Paris depuis 2017 pour passer la douane quand on prend l’Eurostar. La première étape consiste à « capturer une référence ». Il s’agit de prendre une photo qui va servir d’identité pour la personne concernée. Stockée dans une base de données, elle permettra de réaliser des comparaisons ultérieurement au passage des lignes de contrôle.
Aéroports de Paris
Dans les aéroports de Paris, la reconnaissance faciale s’utilise depuis l’été 2018. Elle vise à accélérer l’identification des passagers lors de l’enregistrement des bagages et de l’embarquement. Cette technologie était surtout utilisée pour le contrôle aux frontières. Ainsi, elle permet de réduire le temps d’attente devenu très important du fait de l’enregistrement et des contrôles de sécurité. 2 compagnies aériennes dont Air France vont proposer ce nouveau service aux passagers de 3 vols réguliers européens en moyen-courrier en 2020.
Au moment de l’enregistrement de leurs bagages et de l’embarquement, les passagers devront s’identifier sur une borne spécifique. Elle scannera leur visage pour l’authentification de leur identité. Dans ce cas aussi, la CNIL a donné son accord. Pour autant, c’est sous réserve que la collecte des données biométriques fasse l’objet d’un consentement explicite des passagers. Les données enregistrées ne seront pas conservées. Elles seront détruites dès le décollage de l’avion. On ne pourra pas non plus les utiliser à des fins commerciales ou les croiser avec d’autres fichiers.
Reconnaissance faciale et billettique dans les transports publics
Valérie Pécresse, la Présidente de la Région Île-de-France, envisage d’expérimenter la reconnaissance faciale dans le métro, le RER ou les trains de banlieue. L’objectif clairement visé concerne la sécurisation des transports publics comme dans les transports aériens. Pour autant, l’usage pourrait être étendu à la télébillettique pour aller un cran plus loin dans la dématérialisation des titres de transport.
En effet, rappelons que pour utiliser les transports en commun il est nécessaire d’être muni d’un titre de transport et de le valider aux lignes de contrôle. Cela permet d’accéder aux transports et parfois aussi il est nécessaire de le valider en sortie à la station ou à la gare sur le lecteur destiné à cet effet.
Or, les supports actuels qu’ils soient papier, ticket magnétique, passe, téléphone ou carte bancaire sans contact constituent autant de barrières. Elles peuvent être :
- De nature sociale (tout le monde ne possède pas un téléphone mobile ou une carte bancaire)
- De nature technologique (les personnes âgées peuvent éprouver des difficultés à utiliser un smartphone ou tous les téléphones ne sont pas compatibles avec l’application déployée)
- Ou de nature expérientielle (il faut à chaque voyage présenter le titre de transport ou le support qui le contient physiquement à l’entrée et parfois à la sortie).
Du « Card Centric » à l’Account Based Ticketing
Les systèmes billettiques les plus anciens utilisent le ticket papier à bande magnétique ou la carte à puce et sont dits « Card Centric ». En effet, le support sert à stocker les informations relatives au voyage. Ces systèmes fonctionnent en boucle fermée et l’opérateur de transport fournit le support tarifaire. Leur organisation comporte 3 niveaux : le support et les lecteurs, le local et le Back Office centralisateur.
De nouveaux systèmes faisant intervenir les télécommunications sont apparus depuis. Ils permettent aux voyageurs d’utiliser des cartes bancaires sans contact, des téléphones mobile, des appareils portables et d’autres identifiants pour voyager. Ces systèmes fonctionnent en boucle ouverte. Ils s’appuient sur des comptes utilisateurs localisés dans un Back Office. Ces comptes sont souvent gérés à partir du cloud pour appliquer les règles commerciales pertinentes. Ils permettent aussi de déterminer le tarif applicable et de régler la transaction au meilleur prix pour le voyageur.
Ces systèmes billettiques qu’on appelle « Account Based Ticketing » permettent aux voyageurs de se déplacer d’un point A à un point B sans avoir à acheter préalablement un ticket. De plus, le coût des trajets est calculé automatiquement en fonction du nombre de validations ou de scans réalisés en tenant compte du lieu où se trouve le voyageur.
En conclusion
Ces technologies fascinent autant qu’elles effraient. C’est bien normal car elles apportent à la fois des pistes prometteuses, notamment dans la lutte contre le terrorisme. Cependant, elles questionnent tout autant sur le respect des libertés individuelles fondamentales et la protection des données personnelles.