500 à 600 Millions d’Euros par an, tel est le montant estimé de la fraude dans les transports publics en France. C’est pourquoi, l’importance de ce chiffre a mis en alerte tout l’écosystème de la mobilité (pouvoirs publics AOMs, opérateurs de transport et associations de voyageurs). Il apparaît aussi que, même s’il existe des disparités selon les territoires, la Région Île-de-France est particulièrement concernée avec son réseau de transports rer, metro, lignes de bus et tramways.
Qu’a-t-on fait pour lutter contre la fraude dans les transports ?
Une telle perte de recettes commerciales sur les titres de transport (tickets et abonnements) par rapport à la fréquentation a des conséquences désastreuses sur la qualité du service. En effet, elle occasionne une diminution des moyens financiers pour les opérateurs de transport. En conséquence de quoi, la contrainte financière générée à cause des fraudeurs se répercute sur :
- L’achat de nouveaux matériels roulants,
- L’entretien et la maintenance des équipements,
- Le développement de nouveaux services aux usagers.
Par ailleurs, elle porte atteinte à leur image. En effet, elle génère un sentiment d’insécurité et d’injustice auprès des voyageurs qui paient leur titre de transport.
En 2018, la loi SAVARY a apporté des réponses juridiques et répressives à cette situation. Ainsi, les opérateurs de transport, soutenus par le GART et différentes associations (AGIR, Régions de France et FNAUT), ont pu déployer différentes stratégies de lutte contre la fraude dans les transports publics.
Pour l’essentiel, elles ont visé à actualiser le niveau des amendes appliquées par les contrôleurs et inchangé depuis 1942. Par ailleurs, le partage des données concernant les contrevenants a permis de contrôler les identités et adresses fournies par les fraudeurs pour les PV. A présent, les récidivistes sont aussi plus sévèrement sanctionnés. De même, la loi réprime les mutuelles qui assuraient leurs adhérents fraudeurs en cas de sanctions. Il en est de même pour les applications mobiles ou les SMS qui signalaient la présence d’agents de contrôle dans les stations.
La piste de l’Intelligence Artificielle contre la fraude est-elle plus efficace ?
Pour autant, les nouvelles technologies devraient également apporter des solutions innovantes dans les transports collectifs et plus performantes au bon moment du parcours client. Cela signifie qu’il vaudrait mieux agir au passage des lignes de contrôle dans le cadre d’une approche préventive.
L’expérimentation de cette nouvelle approche
C’est la piste qu’a suivie la société JARBTECH Solution Group, startup norvégienne spécialisée dans le high tech. Pour ce faire, elle a développé une solution à base d’Intelligence Artificielle, appelée iFairPlayer. Celle-ci permet de détecter efficacement les comportements de fraude. Effectivement, sauter par-dessus les tourniquets aux lignes de contrôle, passer par-dessous ou coller un voyageur pour passer en même temps que lui constituent des infractions.
Pour ce faire, JARBTECH analyse en temps réel les vidéos provenant d’un capteur 3D placé juste au-dessus des lignes de contrôle. En cas de comportements anormaux, les algorithmes de détection sophistiqués de son Intelligence Artificielle peuvent détecter les fraudeurs dans le métro. Dans ce cas, les agents de contrôle reçoivent une alerte sur leur smartphone. Qui plus est, ce dispositif accroît l’efficacité des contrôles puisque, par définition, il ne cible que les personnes contrevenantes.
Le métro de la Delhi Metro Rail Corporation Ltd en Inde a, le premier, expérimenté iFairPlayer dans les stations de Seelampur et d’Uttam Nagar. En Avril 2016, il a fait l’objet du déploiement d’un dispositif anti-fraude (capteurs, serveur et routeurs WiFi) pour le pilote. Par la suite, les efforts ont porté sur la station de Seelampur du fait de son taux de fraude plus important.
Le déroulement de l’expérimentation
L’expérimentation a comporté 4 étapes après l’installation des équipements :
1e étape
Elle constituait une étape d’apprentissage pour le système. Elle a permis de détecter et de mesurer le niveau de fraude dans cette station. Pendant cette période, les capteurs ont collecté des data (séquences de vidéos). Cette base de données a ensuite été utilisée pour apprendre au système à reconnaître les situations de fraude en temps réel. Dans le même temps, des alertes étaient transmises sur les tablettes des agents de contrôle du métro. Un panneau d’information installé à l’entrée de la station, à proximité des lignes de contrôle, informait les voyageurs de cette expérimentation. Il portait la mention « Do not tailgate ».
2e étape
Elle a permis de vérifier que le système avait suffisamment appris pour être considéré comme opérationnel. Cela a conduit au lancement d’un test en vraie grandeur en 2016. JARBTECH Solution Group a pris en charge l’exploitation du système anti-fraude pendant cette période. Elle a analysé les logs concernant les situations de « tailgating » et remarqué que le nombre de situations de ce type diminuait au fil des jours.
3e étape
Elle s’est déroulée en août 2016, période pendant laquelle le Métro de Delhi a pris le relais de l’exploitation du système anti-fraude. Ainsi, il a pu faire ses remarques à JARBTECH Solution Group en tant qu’utilisateur de la solution pour procéder à certains réglages et corrections.
4e étape
Elle s’est poursuivie en septembre et octobre 2016, le Métro de Delhi continuant à assurer l’exploitation du système anti-fraude et à remonter des observations pour en améliorer la performance opérationnelle.
Analyse des résultats obtenus
L’expérimentation a permis de dresser un bilan globalement positif et de remonter les points suivants :
- Le système détecte facilement les situations de « tailgating ». Instantanément, les agents de contrôle reçoivent une alerte sur smartphone avec les séquences vidéo qui en résultent.
- Les prises de vue fournies par les caméras installées au-dessus des barrières de contrôle permettent de reconnaître les fraudeurs. Elles servent aussi de preuve et les agents de contrôle peuvent les produire en cas de besoin au moment de l’interpellation.
- Les fraudes ont diminué d’environ 60 % au cours des mesures réalisées entre les étapes 1 et 3.
- Le système a généré quelques fausses alarmes. Une analyse approfondie a permis de révéler qu’elles étaient dues au fait que :
- Un voyageur portait un bagage volumineux (situation interprétée comme du tailgating par le système)
- Un agent de contrôle avait apporté son aide à un voyageur en difficulté (à nouveau considérée comme du tailgating)
- Le temps de passage au même tourniquet entre deux voyageurs était trop court.
- 2 à 3 fois par jour, le système n’a pas généré d’alarmes alors que des cas de « tailgating » étaient visuellement constatés.
- Le système ne détectait pas les enfants mesurant plus de 90 cm du fait que le Métro de Delhi ne l’autorise pas dans son règlement.
5. La panne de quelques capteurs a nécessité le redémarrage du système.
iFairPlayer a tenu ses promesses
En dépit de ces quelques points liés aux problématiques classiques de réglage à la mise en route, le système anti-fraude de JARBTECH Solution Group a donné entière satisfaction. De plus, il s’avère dans son ensemble simple à utiliser et fiable. Il répond parfaitement aux objectifs de lutte contre la fraude auquel l’opérateur de transport indien doit faire face. En effet, dès la phase d’expérimentation, il a permis une diminution drastique du taux de fraude sans doute lié à l’effet dissuasif sur les fraudeurs avertis par le panneau d’affichage des risques encourus.
Par ailleurs, le système a permis d’obtenir des analyses statistiques spatio-temporelles qui ont permis de déterminer les jours et les créneaux horaires pendant lesquels le niveau de fraude était le plus élevé. Ainsi, l’organisation des contrôles a pu être améliorée en concentrant les forces de contrôle sur les lieux et aux heures incriminées.
Depuis, la société JARBTECH Solution Group a continué à peaufiner sa solution. Actuellement, le métro de Lisbonne (Portugal) teste ce nouveau dispositif de lutte contre la fraude. Cependant, la situation de crise sanitaire actuelle a contraint à l’arrêt du pilote pour le moment. Pour autant, JARBTECH est toujours à la recherche de nouveaux terrains de jeu. Elle cherche également à nouer des partenariats pour favoriser le déploiement de sa solution au niveau européen et en France en particulier. En effet, l’élargissement de la base de connaissance du système à de nouveaux cas de fraude s’avère indispensable pour améliorer encore davantage la performance globale de son système.